lundi 7 mars 2016

un bol d'histoire chocolatée !

Le petit film de Karambolage sur le BANANIA nous a permis de découvrir ce qu'était l'empire colonial français.

Un petit objet qui permet de parler d'un grand sujet !



Et bien-sûr la transcription.

Le Banania est pour moi à la fois familier et perturbant. Familier car c’est un produit populaire français représenté par un personnage noir, comme moi. Perturbant, car il a souvent été le symbole d’une France aux clichés dépassés. En fait, Banania, né comme la Première Guerre mondiale à l’été 1914, n’est pas qu’une poudre de chocolat instantané, c’est avant tout un concentré d’histoire coloniale ! Voyez sa composition, c’est une invitation au voyage aux Antilles ou en Afrique noire : de la farine de banane – dont il tire son nom, du cacao et du sucre de canne. En créant cette poudre chocolatée, Pierre Lardet a d’abord choisi de représenter sa marque par une Antillaise. Mais dès 1915, contexte de guerre oblige, c’est le tirailleur sénégalais qui s’impose comme l’image du produit. Petite digression historique : en 1857, le Général Louis Faidherbe, gouverneur de la colonie française du Sénégal, fonde un corps de soldats qu’il appelle "les tirailleurs sénégalais". C’est le début de de l’armée coloniale qui recrute par la suite des soldats africains dans toute l’Afrique occidentale et équatoriale française. Pourtant, l’expression générique "tirailleur sénégalais" reste. Pour se faire comprendre auprès de ces soldats qui ne parlent donc pas la même langue, les autorités décident de leur apprendre une langue simplifiée : le français tirailleur.

Revenons à notre Banania. Lardet choisit en 1915 ce fameux "tirailleur sénégalais" pour illustrer ses boîtes jaunes. On le reconnaît à ses trois attributs : une chéchia rouge typique des soldats musulmans, un large sourire, mais surtout le fameux slogan "y’a bon Banania", une traduction de "c’est bon, le Banania" en français tirailleur. La légende dit que c’est ce qu’aurait déclaré un tirailleur en goûtant sa première gorgée de la boisson à la sortie d’une usine. Soit. Pour faire la promotion de cette poudre de cacao, 14 wagons de Banania sont envoyés aux soldats du front afin de leur donner, je cite, "force et vigueur". Et ça marche ! Très vite, c’est le succès et celui que l’on appelle dorénavant "l’ami y’a bon" s’invite à la table des Français. Hélas, pendant la Première Guerre mondiale, "force et vigueur" ne suffiront pas à épargner la vie de cette armée coloniale composée de soldats enrôlés de force et issus des quatre coins de l’Empire colonial. Une armée à l’objectif clairement défini : économiser les vies des poilus blancs. Dans son livre, le Général Mangin parle ainsi de "force noire à consommer avant l'hiver car ne supportant pas le froid". Aux côtés des tirailleurs d’Afrique noire, des milliers de Maghrébins, Antillais et Kanaks ont été ainsi envoyés en première ligne pour défendre le drapeau tricolore. Au total, ils seront environ 200 000 soldats africains à combattre et plus de 30 000 à mourir pour la France entre 1914 et 1918.

On les retrouve pendant la Deuxième Guerre mondiale : les tirailleurs africains s’illustrent et tombent sur le champ de bataille ou dans les camps de concentration. Un triste épisode marque la fin de l’épopée des tirailleurs : le massacre de Thiaroye. Le 1er décembre 1944, dans un camp près de Dakar au Sénégal, l’ordre est donné d’ouvrir le feu sur des tirailleurs de retour du front qui réclament le paiement de leurs arriérés de solde. Officiellement, 35 tirailleurs sont tués, mais quatre jours plus tard, un rapport dénombre 70 victimes. Malgré tout, sur les boîtes, le tirailleur continue de dire "Y’a bon Banania" jusqu’en 1977, date à laquelle le slogan, souvent récupéré à des fins racistes, est abandonné par la marque. Il faut dire que le large sourire un peu niais, associé au slogan qui caricature un français un peu simpliste, datent franchement d’une autre époque. Aujourd’hui, les gadgets à l’effigie du tirailleur sont devenus des objets de collection. Des objets qui ont au moins le mérite de mettre un visage sur un formidable héros de l’Histoire de France !
Texte : Linda Lô    Image : Olivier Martin

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